La femme en Islam

Quand l’imam est une femme : lutte égalitaire ou orientalisme moderne ?

Récemment des mouvements prônant un imamat féminin ont émergé partout dans le monde. Leur vocation ? « Libérer » les femmes du patriarcat pour proposer un islam reformé et conforme au féminisme occidental. Or, l’islam a t-il besoin de cette réforme et surtout, peut-il être taché de patriarcat ?

Par Mahrukh Arif-Tayyeb

La femme a toujours occupé une place importante dans le débat public. Historiquement, sa place et sa perception au sein de la société ont considérablement évolué. Il fut un temps où les femmes n’avaient aucune représentation politique. Elles étaient considérées comme des sous-êtres, limitées à leur condition féminine. Ce n’est que récemment, après des années de luttes, qu’elles ont obtenu, par exemple, le droit de vote. La contribution des femmes dans les domaines de la science, de la politique, de l’art, de la technologie et du sport est énorme et reste encore, dans une certaine mesure, sous-estimée.

La Bible dresse le portrait de la première femme sur terre, Ève, en ces termes : l’Éternel Dieu créa d’abord l’homme, Adam, puis de sa côte créa sa contrepartie féminine. Cependant, en incitant Adam à commettre le péché originel, la figure biblique de la femme change de statut : elle devient le symbole de la tentatrice qui, pour réparer cette erreur quasi existentielle, sera condamnée – selon le verdict du Dieu biblique – à marquer sa soumission à l’homme et enfanter dans la douleur.

Bien qu’elle ait considérablement évolué au-delà de cette conception primaire, il est triste de constater que la femme est encore, dans la société d’aujourd’hui, vue comme un objet sexuel dans laquelle son « hypersexualisation » est souvent perçue comme synonyme d’émancipation réussie.

L’émergence du féminisme en Occident a cependant apporté un certain équilibre en rejetant ces deux extrêmes. Le féminisme, en tant que mouvement social et politique lutte pour l’égalité. Dans une société féministe occidentale idéale, la parité politique, sociale et économique serait irréprochable. Cette conception du féminisme peut, à certains égards, paraître conflictuelle voire concurrentielle dans son rapport à l’homme. C’est à travers ces mêmes idéaux que certaines femmes, imbibées de ce féminisme occidental, revendiquent le droit d’occuper le rôle d’imam et diriger les fidèles dans la prière. Certaines revendiquent ce rôle au sein de mosquées réservées exclusivement aux femmes ; d’autres au sein de mosquées mixtes. L’émergence de ces mouvements a d’ailleurs été saluée par la majorité des médias occidentaux – en particulier en Europe – pour leur courage et leur défiance « aux institutions patriarcales de l’islam ».

Mon propos ici n’est pas d’émettre un jugement de valeur agressif à l’encontre de ces femmes. Néanmoins, ces mouvements révèlent une incompréhension flagrante des enseignements islamiques et de la perception du genre dans la tradition islamique. Bien qu’il existe plusieurs traditions soutenant la possibilité d’une femme dirigeant d’autres femmes dans la prière, une femme dirigeant une congrégation mixte est en contradiction directe avec les enseignements islamiques.

L’islam et l’égalité des sexes

Analyser l’islam sous le prisme du féminisme occidental moderne fait non seulement lieu d’anachronisme superflu, cette volonté d’« émanciper » l’islam de ses enseignements prétendument patriarcaux à travers une compréhension spécifique du féminisme (parmi tant d’autres) laisse paraître un orientalisme flagrant. En somme, si l’islam ne définit pas l’égalité des sexes selon les normes du féminisme occidental, il est de facto tâché de patriarcat.

Le Coran rejette l’idée selon laquelle Ève serait la seule coupable du péché à l’origine de la Chute ; il atteste qu’ils ont tous les deux désobéi au commandement divin mais qu’Allah les a pardonnés et traités avec miséricorde :

« Et nous avons dit : ‘Ô Adam, demeure avec ta femme dans le jardin, consommez-y en abondance où vous voudrez. Mais ne vous approchez pas de cet arbre, pour que vous ne soyez pas du nombre des injustes. Mais Satan les fit trébucher en leur faisant négliger le commandement à l’égard de l’arbre, et les fit sortir de l’état où ils étaient. Alors, Nous leur avons dit : « Partez, les uns étant les ennemis des autres. Il y aura pour vous une demeure sur la terre et une provision pour un temps. Ensuite, Adam apprit par son Seigneur certains mots de prière. Ainsi, Il s’est tourné vers lui avec clémence, car Il est Celui Qui revient sans cesse avec compassion, le Miséricordieux. »

Saint Coran, chapitre 2, versets 36-38

En somme, le Coran ne porte aucun jugement spécifique sur la femme. Le récit d’Adam et Ève révèle en réalité l’égalité spirituelle des deux sexes. Les femmes, comme les hommes, sont enclins au péché tout comme ils sont enclins à faire le bien. Par conséquent la femme, selon l’islam, ne porte pas la responsabilité du péché originel.

Cette égalité spirituelle des deux sexes est également soulignée par les versets suivants qui ne laissent planer l’ombre d’aucun doute à ce sujet :

« Leur Seigneur répondit donc à leurs prières en disant : « Je ne permettrai pas que le travail d’aucun d’entre vous, homme ou femme, soit perdu. Vous êtes les uns des autres… »

Saint Coran, chapitre 3, verset 196

« Mais celui, homme ou femme, qui fait de bonnes œuvres et qui est croyant, entrera au Paradis et ne sera pas lésé, même pas de la valeur du petit creux d’un noyau de datte. »

Saint Coran, chapitre 4, verset 125

En ce qui concerne l’interaction des deux sexes, l’islam appelle à la modestie. Dans un premier temps, le Coran exhorte aux hommes de restreindre leurs regards et de couvrir leurs parties intimes pour préserver la pureté de leurs intentions. Le Coran conseille ensuite aux femmes de couvrir leurs parties intimes et de « tirer sur leurs poitrines leurs voiles dont elles se couvrent la tête ». De ce fait, il est évident que l’islam est une religion qui perçoit le genre de manière indépendante, sans nier leur interaction quasi évidente. Il s’agit d’une religion qui prône l’indépendance des genres : bien que les hommes et les femmes aient un accès égal à la mosquée, il leur accorde un espace séparé.

Il n’y a aucune tradition dans l’islam qui soutient l’idée d’un imamat féminin, principalement pour les raisons énoncées ci-dessus. Le principe de modestie, au cœur de l’interaction des sexes, en serait bouleversé. On ne peut néanmoins en déduire que la religion musulmane soit patriarcale : les hommes sont tout aussi restreints que les femmes. En réalité, l’islam désire instaurer un certain confort nécessaire au sein de la mosquée ; lieu sacré destiné avant tout à la purification de l’âme et l’accès au divin. 

Malheureusement, l’état actuel des mosquées en termes d’égalité des sexes et d’accès n’est pas idéal. La plupart des mosquées musulmanes sont dirigées par des hommes. Les hommes sont à la tête de la hiérarchie et la prise de décision. C’est la raison pour laquelle, certaines femmes – à juste titre – se sentent exclues de l’espace divin. Cependant, ce constat ne justifie pas les accusations portées à l’égard de la religion musulmane. D’autant plus que l’islam a toujours offert un accès égal aux deux sexes à la mosquée et célébré le leadership féminin.

L’islam et le leadership féminin

La contribution des femmes dans l’histoire de l’islam est énorme. Tout musulman-e connaît le hadith dans lequel le Prophète de l’islam (sa) affirme que la moitié de la foi peut être apprise d’Aïcha, une de ses épouses qui va, par la suite, devenir un modèle pour l’ensemble des croyant-e-s. En réalité, l’islam est une religion révolutionnaire pour le droit des femmes. Dans une société et un monde dans lesquels la femme était vue comme un sous-être, sans droits au divorce, à l’héritage, à la parole et à la vie (dans certaines parties de l’Arabie préislamique), l’islam va venir renverser ce statut en seulement quelques années. Lorsque le Prophète prêche la religion musulmane, plusieurs hommes séduits par son message renoncent à l’accepter simplement parce qu’ils considèrent qu’il s’agit d’une religion qui accorde beaucoup trop de droits à la femme. Les femmes, à l’époque de l’islam, se soucient peu d’égaler les hommes ou de revendiquer – à l’instar de ces mouvements contemporains – des rôles masculins. Elles sont convaincues de leur égalité spirituelle, et plusieurs traditions soutiennent que les femmes avaient pour habitude de se rassembler et d’entretenir des débats et discussions intellectuelles sur la jurisprudence islamique.

Lors de ces rassemblements, plusieurs traditions soutiennent l’idée que le Prophète de l’islam avait enjoint aux femmes de prier ensemble et aurait même permis à une femme de diriger la prière. Umm Waraqa, souvent citée par les fondatrices du mouvement des femmes imams comme Kahina Bahloul en France, constitue un exemple qui prête à débat.

Selon la tradition, cette dernière aurait obtenu la permission du Prophète de l’islam (sa) de diriger la prière lors d’un rassemblement mixte. Le terme en arabe présent dans la tradition est « Ahl-dari-ha » ce qui signifierait les gens de son foyer. Une minorité d’érudits affirment néanmoins qu’il existe une ambiguïté sur la traduction exacte du mot arabe « dar » qui peut également désigner un village ou un quartier. Cependant, en analysant d’autres traditions en parallèle sur le sujet, plusieurs soutiennent l’idée qu’Aïcha (ra) et Umm Salamah (ra) ont également dirigé la prière à un groupe composé exclusivement de femmes.

L’ensemble de ces traditions mentionne que lorsque ces femmes dirigeaient la prière, elles se tenaient dans la même rangée que les autres, contrairement à l’imam de la mosquée qui se tient seul au premier rang. De plus elles dirigeaient des assemblées exclusivement féminines et non mixtes.

En réalité, le concept de femmes imams dirigeant des congrégations mixtes se heurte à l’esprit du Coran appelant à la modestie dans l’interaction des deux genres. En revanche, il est tout à fait possible qu’une femme puisse diriger d’autres femmes dans la prière.

Ceci étant dit, il aurait été plus sage que ces femmes revendiquent un accès égal à l’espace et à la parole au sein de la mosquée en respectant l’esprit du Coran, plutôt que de mener une lutte égalitaire visant à « remettre en cause la structure de l’islam de l’intérieur ».

Ce combat visant à « réformer » l’islam en imposant une (re)lecture indispensable du texte coranique selon les principes du féminisme occidental contemporain fait preuve d’un orientalisme tout aussi agressif que l’expérience et le vécu du patriarcat dans nos sociétés modernes.

Mahrukh Arif-Tayyeb


A propos de l’auteur : Mahrukh Arif-Tayyeb est une française de confession musulmane. Diplômée d’un Master de l’EHESS, elle est passionnée par le fait religieux en Europe. Elle écrit régulièrement sur ces sujets en français et en anglais.

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