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La burqa autorisée en France après la COVID-19 ?

En 2010, afin d’empêcher les femmes musulmanes de porter la burqa en France, des politiques ont voté une loi pour interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, sous prétexte que cela nuirait à l’ordre public. Quant est-il aujourd’hui avec des millions de femmes masquées ?

Par Dr Idrissa KONE

Depuis presque deux ans, le monde vit une grave pandémie connue sous le nom de la COVID-19. Cette maladie mortelle a entraîné des conséquences terribles en termes de perte en vie humaine, de conjoncture économique et de désastre social. Malgré les avancées médicales pour contrer cette pandémie, notamment par la vaccination, les gestes barrières demeurent un outil incontournable pour briser la chaîne de contamination. Et une des mesures phares demeure le port du masque qui, par ricochet, entraîne la dissimulation du visage. La dissimulation du visage est désormais considéré comme un acte de civisme, de respect des autres, et comme moyen de protéger autrui et soi-même contre cette maladie. Il n’existe plus aucun espace clos ni ouvert où il est interdit de se dissimuler le visage. Or quelques années de cela, certains politiques en France se sont attaqués au mode vestimentaire de certaines femmes musulmanes appelé burqa ou niqab. Ils ont lancé un débat public si vif et important qu’il a poussé l’État français à voter une loi liberticide. Le meilleur argument qu’ils ont avancé afin d’éviter de citer une pratique religieuse, était que le fait de dissimuler son visage pourrait être source de trouble à l’ordre public. Ils ont utilisé des subterfuges et profité de l’islamophobie ambiante pour faire passer cette loi. Il s’agit de la  loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public1 ayant pour objet d’interdire le port d’une « tenue destinée à dissimuler son visage ». Entrée en vigueur le 11 avril 2011, elle a été adoptée lors du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy. Bien que la loi n’a nullement cité une religion ou une pratique spécifique, les femmes musulmanes étaient clairement ciblées par cette loi.  Aujourd’hui, fort est de constater que la pandémie de la COVID-19 a rendu caduc cette loi, car qui oserait dire en effet que cette loi est violée au quotidien par des millions de Français. Qui pourra dire si les femmes musulmanes portent un masque pour dissimuler leur visage au nom d’un principe religieux ou bien pour se préserver du virus ? Les politiques ont violé un principe fondamental en légiférant sur le droit de s’habiller des citoyens, ne leur laissant plus le choix de se vêtir comme bon leur semble tout en respectant le minimum de pudeur, et en s’immisçant ainsi dans la vie privée des gens. Les politiques ont été ridiculisés à cet égard par les contraintes liées à la pandémie de la COVID-19. Se  dissimuler le visage est une pratique courante dans la vie quotidienne, que ce soit dans l’armée, dans le domaine de la sécurité physique comme alimentaire, chez les astronautes, dans le monde de la santé, dans la pratique sportive et j’en passe. Que demandaient ces femmes musulmanes ? Le droit de s’habiller en accord avec leur compréhension de la religion, tout en respectant le choix des autres de s’habiller comme bon leur semble ; le droit de protéger leur corps, ainsi que les autres, d’éventuelles maladies spirituelles  susceptibles d’entraîner une mort spirituelle. Nos gouvernants imposent la dissimulation du visage à travers le port du masque afin que les gens se protègent d’éventuelles maladies physiques susceptibles de causer la mort physique. Pourquoi empêcher l’un et autoriser l’autre ?

Lorsque cette loi fut votée en 2010, le cinquième Calife de la communauté musulmane Ahmadiyya, Hadhrat Mirza Masroor Ahmad (qu’Allah soit son soutien) avait attiré l’attention des gouvernements et des parlementaires sur les dangers de cette loi et le caractère ridicule de ses dispositions. Il a dit en substance :

« Depuis quelques années, le hijab, ou voile islamique, est devenu l’objet d’une grande polémique en Europe. En France, un profond sentiment d’opposition s’est développé, et la classe politique considère sérieusement l’introduction d’une législation visant à une interdiction partielle du hijab ou de la burqa […] et c’est là un autre moyen pour blesser les sentiments des musulmans. A bien y réfléchir, on a du mal à identifier le problème réel que pose le voile et comment il peut être une menace pour les États européens. Porter un manteau et un foulard qui couvre la tête et le menton est présenté comme un crime si grave, qu’il justifie une session extraordinaire du parlement pour voter une loi l’interdisant. Si les femmes n’ont pas le droit de porter de foulard sur la tête, pourquoi les hommes auraient-ils le droit de porter des casquettes et des bérets? Récemment un journal a publié une caricature dans laquelle une femme portant le voile se tenait à côté d’un homme portant un béret. L’homme disait à la femme « pas de burqa » et la femme lui répondait « pas de béret ». Cette situation tourne au ridicule. Toutefois, ceux qui détiennent les rênes du pouvoir exécutif et législatif ne devraient pas interférer dans ce genre de situations et doivent faire preuve de bon sens. Doit-on passer des lois contre les femmes juives ou chrétiennes parce qu’elles portent un vêtement religieux. Si des interdictions sont imposées aux musulmans, les pays musulmans pourraient imposer, à leur tour, des restrictions similaires sur certains vêtements occidentaux. Cette situation pourrait avoir un effet boule de neige et menacer la paix du monde. Bien entendu, si un vêtement dissimule l’identité d’une personne et qu’il est nécessaire de l’enlever pour s’identifier, l’État ou les autorités ont tout à fait le droit de l’exiger. Mais doit-on pour autant interdire à une femme de voyager parce qu’elle porte un hijab, ou encore refuser de soigner dans un hôpital une personne mourante parce qu’elle porte un voile? Prenons l’exemple d’une jeune musulmane, intelligente, première de sa classe, loyale envers son pays et qui l’aime profondément. Même si elle souhaite contribuer au progrès national par son travail, elle n’aura pas le droit à l’éducation parce qu’elle a fait le choix de porter un foulard. Non seulement une telle loi est une atteinte à ses droits fondamentaux de citoyenne, mais c’est aussi un gaspillage de talent et une grande perte pour le pays. Le talent de la nation et l’avenir du pays sont compromis simplement parce qu’une fille musulmane veut servir son pays mais aussi pratiquer sa religion de son plein gré. On lui refuse ses droits simplement parce qu’elle porte un morceau de tissu sur la tête. Si c’est un crime, alors pendant l’hiver les Européennes qui se couvrent la tête avec des écharpes devraient aussi perdre leurs droits. Cela donne matière à réfléchir. Pourquoi devient-on un criminel si on porte un mètre d’étoffe sur la tête et comment le fait de le porter peut justifier de perdre ses droits fondamentaux. Les gouvernements démocratiques revendiquent dans leurs constitutions la défense des droits inaliénables des individus. Interdire le port du voile est-il un moyen pour unir les nations ou pour développer le respect et la compréhension entre les différents peuples ? Une personne juste et honnête ne pourra que s’opposer à une telle loi car elle élève des barrières encore plus hautes entre les peuples et sape la paix mondiale. » 2


A propos de l’auteur : Dr Koné Idrissa est Médecin-Radiologue, et membre de l’équipe de rédaction de La Revue des Religions. Il est par ailleurs Secrétaire à la publication et à la prédication de la communauté musulmane Ahmadiyya de Lyon.


Références

1- JUSX1011390L. JORF n°0237 du 12 octobre 2010

2- Interdiction du port du voile islamique et de la burqa en Europe – Islam et l’Ahmadiyya (islam-ahmadiyya.org)

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