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Réplique à Razika Adnani. La réforme de l’islam n’est pas la solution : la réforme des musulmans l’est.

Le Saint Coran - la parole de Dieu.
Le Coran est la parole de Dieu révélée au Saint Prophète Mohammad.
Razika Adnani se trompe en affirmant que les préceptes de l’islam sont incompatibles avec les valeurs de l’humanité.

C’est par inadvertance que je me vois communiquer l’article de Razika Adnani, une philosophe, qui propose dans les colonnes d’Ouest France un point intitulé, sous la forme d’un questionnement philosophique : « la réforme de l’islam : la solution ? » Partir du postulat que l’islam nécessite une solution présuppose de déterminer que cette religion a un « problème » ou une « problématique » qu’il convient éventuellement de solutionner par une « réforme » ou une « solution ».

En conséquence, cette religion, qui a traversé 14 siècles d’histoire et de civilisations, qui est actuellement pratiquée par plus d’un milliard d’âmes vivant sur notre planète, qui a été au centre de plusieurs découvertes majeures en astronomie, en physique et dont on découvre, encore aujourd’hui, la grande culture, finalement, poserait un « problème ». La lecture du point de vue proposé par Razika Adnani vient nous éclairer sur les raisons d’un tel problème et nous permet de présenter cette réplique.

La charia est partout et est réclamée par tous les musulmans

À lire Razika Adnani, on en reviendrait presque à avoir peur de sa propre religion. Elle estime en effet « Les règles juridiques de l’islam, appelées charia, ont organisé la société arabique du VIIe siècle et s’opposent aux valeurs actuelles de l’humanité en premier lieu l’égalité et la liberté ». En d’autres termes, l’islam serait une religion qui fait affront à l’égalité et ne cautionne pas l’idée d’une liberté.

Outre les termes peu précis – on ne sait pas à quelle liberté il est fait référence, ni à quelle forme d’égalité nous avons à faire – on ne peut qu’être surpris de lire des propos aussi essentialisant, peu précis et surtout, très orientés. D’abord, parce que s’il s’agit de la liberté de culte ou de la liberté de conscience, l’islam a toujours milité pour ces libertés. S’il s’agit de l’abolition de l’esclavage, l’islam avait, bien avant le décret Schœlcher, interdit cette pratique. Puisque ni la liberté est définie, ni la notion d’égalité que Adnani conteste, il nous est compliqué de répliquer de façon argumentée à une phrase dont la teneur matérielle est proche de l’invocation incantatoire.

En effet, il conviendrait de définir de quelle égalité on parle ici. Égalité femmes – hommes, égalité d’accès à l’emploi, égalité des devoirs de participation à la vie citoyenne, égalité devant la loi ? Dire que l’islam est contre la liberté, sans définir laquelle, et l’égalité, sans définir les paramètres du débat nous semble dangereux car il n’oppose aucun fondement théorique sur la base de l’affirmation ce qui, pourtant, est aux racines du raisonnement philosophique.

En réalité, en essayant d’apporter une solution, Adnani pose surtout les jalons d’une confusion. Le piège se referme lorsqu’on lit la suite du raisonnement proposé, à tout le moins dans l’article, par la philosophe.

L’islam, religion hermétique aux changements et aux « réformes » et la nécessité d’abroger les versets coraniques

Si le portrait dressé de l’islam n’était pas fameux en début d’article, on se doute que la grâce ne va pas frapper l’autrice au cours du développement des quelques lignes sur la question de la « réforme ». Adnani suggère en effet que l’islam est religion de Dieu et que les musulmans sont généralement peu enclins à modifier leurs dogmes. Il serait intéressant de poser la question aux tenants d’une quelconque religion afin de déterminer s’ils seraient heureux de voir leur religion revisitée par des philosophes ou des « intellectuels » modernes.

Abandonnons ce questionnement de bon sens pour en revenir aux propos tenus par l’autrice dans son article. Elle soutient en effet que « L’islam a également connu d’autres réformes, comme celle des Wahhabites, qui ont marqué son histoire et celle des musulmans ». Il est fascinant de constater qu’à chaque fois que le terme de réforme est mentionné le mouvement qui est visé est le Wahhabisme, qui est précisément l’antithèse de la réforme.

Par ailleurs, la focalisation sur ce mouvement laisse supposer que tous les musulmans du monde suivent ce courant de pensée ou des variantes de celui-ci. Si cela peut être vrai pour certains, il n’en demeure pas moins que c’est loin d’être le point de vue prégnant au sein de la configuration actuelle de l’islam. L’influence du monde moderne a créé de vrais loups solitaires au sein même de l’islam qui pratiquent cette religion en fonction de leurs propres vécus ou de leurs visions philosophiques de cette dernière.

Focaliser l’attention sur le salafisme est aussi une erreur majeure. Dans son livre Le Salafisme aujourd’hui, Samir Amghar propose une classification du salafisme qui revient à affirmer qu’il n’existe pas un, mais des salafismes. Cette simplification à l’outrance ampute le débat public d’une donnée qui est pourtant fondamentale : la compréhension exacte d’un phénomène, dans son temps et son espace. Amghar précise que seule une infime partie du salafisme pose actuellement un problème – celui suivit par ceux qu’on aime appeler les « salafistes djihadistes » qui sont également « takfiristes ». Les propos généraux de l’autrice ne peuvent pas conduire à une analyse sincère de la notion de réforme en islam et ne se conforment pas non plus avec la réalité que vit cette religion actuellement.

La réalité vécue par cette religion est le manque de repères des musulmans du monde en raison d’un défaut crucial d’un leadership unitaire. La réalité que vit cette religion c’est aussi l’individualisme de certains musulmans qui refusent de considérer qu’il convient d’accepter un leadership unique en abandonnant les querelles de chapelle. Pourtant, un mouvement, celui des musulmans Ahmadis, appelle de ses vœux à ce leadership unique sous la bannière du Prophète de l’islam et de Mirza Ghulam Ahmad. Ce mouvement connaît un système de Califat établi depuis plus d’un siècle et pourtant peu de médias occidentaux entendent la réforme qu’ils porte.

La fameuse question de l’abrogation des versets coraniques

La conclusion qui vise à solliciter l’abrogation des versets coraniques à des musulmans qui ne souhaitent pas que l’on touche à leur Livre Saint relève réellement de l’indécence. Sur le fondement d’une généralité qui pourrait se résumer par la équation mathématique « islam + wahabbisme + daesh + réforme = abrogation des versets », l’autrice demande, ni plus ni moins, qu’une abrogation des versets du Coran. Il faudrait donc, pour une infime minorité de terroristes, nous revisitions un Livre Sacré suivi par près d’un milliard de musulmans sur notre planète.

Si l’essentialisme se cherchait une définition, il devrait venir jeter un coup d’œil dans cet article. L’autrice manque un rendez-vous important avec l’histoire de l’islam puisqu’elle fait l’impasse sur tous les aspects messianiques de cette religion qu’elle élude autour de querelles de chapelle internes. Pourtant, la solution, à notre sens, se trouve bien dans ce rendez-vous manqué par plusieurs millions de musulmans dans le monde. Nous ne pourrons pas le détailler ici, sous peine de devoir répondre à un article d’une page avec un papier scientifique d’une vingtaine.

Si nous sommes d’accord avec l’idée d’une séparation de la mosquée et de l’État, nous manifestons notre réserve face à cet article qui dépeint le portrait zemmourien d’un islam divisé entre les versets révélés à Médine et ceux révélés à la Mecque. Le problème ne porte pas dans l’islam comme dogme religieux mais dans la pratique des musulmans qui s’écartent de plus en plus du bon sens, pourtant présent à chaque verset (mecquois ou médinois) dans le Coran.

Si problème il y a, Madame Adnani c’est dans la pratique des musulmans, pas dans l’islam.


À propos de l’auteur : Asif Arif est Avocat au Barreau de Paris, essayiste sur les questions d’islam et de laïcité. @AsifArifMa

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