Le voile semble être la polémique préférée des représentants de la République française. Depuis la loi de 2004 interdisant le port du voile dans les écoles, il s’agit d’une polémique qui, jusqu’à aujourd’hui ne s’estompe pas. Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs justement posé la question : le voile est-il une obsession française ? La France semble être l’un des pays les plus farouchement obstinés à faire disparaître le bout de tissu des femmes musulmanes de l’espace publique. Mais pourquoi le voile dérange-t-il autant ?
Le voile, selon ses opposants, est une « marque de soumission » pour les femmes, une pratique rétrograde qui ne reflète pas les valeurs de la République ; cette même République, aux racines judéo-chrétiennes qu’elle chérit tant et garde près du cœur malgré l’omnipotence de la sacrosainte Laïcité. C’est au nom de ce principe que le voile, nous explique-t-on, n’a pas sa place en France.
On décide alors de l’interdire dans les écoles dans un premier temps, puisqu’on considère que ces jeunes filles n’ont pas la maturité nécessaire pour comprendre la religiosité du signe – et par ricochet, qu’elles ont forcément été contraintes. Comme cette loi ne fait pas obtenir l’effet désiré, c’est-à-dire la disparition visuelle du signe religieux, on propose ensuite de l’interdire de l’espace publique, toujours avec les mêmes arguments fallacieux à l’appui. On rajoute la nécessité du maintien de l’ordre publique lorsqu’il s’agit de faire une autre loi, sur le port du niqab cette fois-ci, à savoir le voile intégral. Et pourtant, l’ensemble de ces législations n’a toujours pas réussi à étouffer le débat et résoudre, en quelque sorte, la question du voile en France.
En France, toute femme indépendante, éloquente et intelligente choque dès lors qu’elle choisit de porter le voile. Elle choque puisque son érudition ne lui a pas permis de sortir de l’emprise d’une prétendue idéologie rétrograde, signe ultime de soumission à l’homme…
Prenons l’exemple récent de Mariam Pougetoux, représentante de l’union nationale des étudiants de France. Son apparition voilée à la télévision française « choque », malgré le fait qu’elle ne fasse jamais référence à son voile lorsqu’elle défend la cause des étudiants. On lui fait comprendre que son voile est l’antithèse du féminisme et une manifestation de « l’islam politique » : son voile est étrange, au sens propre du terme, il représente une idéologie étrangère à celle que porte la France et de ce fait, il est voué à disparaître…
En d’autres termes, le voile n’est pas français et par conséquent, une femme musulmane née en France qui choisit de porter le voile devient étrangère et ne peut être pleinement française. La femme voilée est placée dès lors au ban de la société, punie pour être maîtresse de ses choix, un crime pour lequel la République lui réserve l’invisibilité et la mort sociale.
Pourtant, il suffit d’entrer dans une église ou une cathédrale pour voir une femme voilée non seulement tolérée mais vénérée en France : la Vierge Marie, figure centrale de la tradition chrétienne sur laquelle la France bâtit ses valeurs. Cette réalité nous amène au constat quasi évident, que le voile n’est pas étranger à la France. Au contraire, il lui est propre. Il fait partie des traditions françaises et ne peut être assimilé à un phénomène étranger lié à l’immigration et l’arrivée de l’islam en France. C’est aussi à travers l’analyse de ces mêmes traditions qu’il est possible de comprendre la haine portée par certains envers ce signe religieux controversé.
Lorsque certains ministres viennent nous dire que le voile islamique marque l’infériorité de la femme et sa soumission à l’homme, ils émettent une erreur de jugement. L’idée du voile comme symbole de soumission à l’homme est propre aux traditions judéo-chrétiennes. Dans la tradition juive, le port du voile est prescrit aux femmes mariées alors que la femme dévoilée est assimilée à une femme facile (Mishnah, Ketubot 7 :6). En revanche, le symbole du voile comme soumission à l’homme est beaucoup plus clair dans les textes chrétiens.
Dans le Premier épître aux Corinthiens (11 : 2-16), Saint Paul explique clairement la raison pour laquelle la femme doit se voiler. En voici un extrait : « Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre ! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile ! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme. Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance, à cause des anges. »
Dans la tradition islamique, le port du voile ne s’inscrit pas à travers la dépendance ou la soumission de la femme à l’homme. Au contraire, le voile s’inscrit dans la préservation d’une société et d’un mode de vie modestes : les hommes sont tout autant appelés à préserver leurs parties intimes que les femmes (Coran, 24 : 30). Pour les femmes, en revanche, le Coran utilise le terme Khoumour, pluriel de Khimar, qui désigne le voile selon les dictionnaires de renom, dont le lexique de Lane. Alors que la tradition chrétienne veut que la femme porte sur la tête la marque de sa dépendance à l’homme, l’islam demande à toute croyante de porter le voile (Coran, 24 : 31) pour marquer sa modestie, c’est-à-dire son refus de se soumettre aux regards lascifs de certains hommes, et ainsi éviter d’être importunée (Coran, 33 : 59). Le cas échéant, la femme n’est cependant pas appelée à être tondue ou humiliée.
Par conséquent, dès lors qu’il est observé à travers le prisme des interprétations énoncées dans les traditions judéo-chrétiennes, le voile islamique peut apparaître comme choquant ou infériorisant. Ces mêmes traditions que la France brandit avec fierté lorsqu’il s’agit de dire que l’islam et le voile ne sont pas compatibles avec les valeurs de la République. Il y a dans ce constat une part de vérité : l’islam accorde la liberté aux femmes de se vêtir comme elles le souhaitent, la République les censure. L’islam permet aux femmes voilées de faire société, la République freine leur progrès social en limitant leur accès au marché du travail. Pourtant, la classe politique française s’obstine à faire croire le contraire.
La République veut s’inscrire comme garante de valeurs visant à émanciper ces femmes du « joug de l’islam » qui les enferme dans leur condition féminine. Or, elle est devenue celle qui leur retire leur droit d’être et de jouir pleinement de leur individualité.
Ce constat nous amène à poser la question suivante : cette République, aux racines judéo-chrétiennes, qui clame être la protectrice des libertés individuelles et garante de l’émancipation des femmes, se voile-t-elle la face ?
À propos de l’auteure : Mahrukh Arif-Tayyeb est une Française de confession musulmane, membre de la communauté Ahmadiyya. Diplômée d’un Master de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), elle a travaillé en tant que journaliste en France. Elle est passionnée par le fait religieux en Europe et écrit sur ce sujet en français et en anglais.
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