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Israël-Palestine : comment le mensonge attise les flammes de la guerre

Alors que la Palestine subit les secousses des tirs de missiles et des bombardements, les cœurs du monde battent en solidarité. Cependant, la vérité dans ce que vous vous apprêtez à lire peut être incertaine. Mais comment pouvez-vous être sûr que ce que vous êtes sur le point de lire est vrai ?

Sabahat Ali, États-Unis

Le New York Times modifie le titre d’un article trois fois en une journée pour la même histoire, à mesure que de nouveaux développements surviennent.

Ce qui pourrait être, en réalité, une attaque aérienne israélienne contre des civils se présente dans nos flux de médias sociaux comme une « attaque terroriste » attribuée au Hamas. En quelques minutes, Israël riposte en accusant le Hamas. Ce dernier nie toute implication, déclarant que ce sont les tactiques habituelles d’Israël pour échapper à la responsabilité du meurtre délibéré de civils palestiniens innocents. Avant même que nous ayons fini notre café du matin, des milliers de publications, des centaines de gros titres et de nombreux médias ont déjà choisi leur version de l’histoire.

Nous nous retrouvons alors seuls face à ce déluge de spéculations. L’abus des médias sociaux a le pouvoir d’exacerber les conflits de manière indescriptible. Apparemment, la plupart des gens réagissent impulsivement, infligeant des dommages irréparables avant même d’avoir pris le temps de réfléchir.

Le pouvoir de réduire des villes entières en ruines en appuyant sur un bouton était autrefois réservé aux dirigeants mondiaux. Mais les jours de désolation depuis le 7 octobre, jour où  le Hamas a attaqué le sud d’Israël, nous ont rappelé de façon glaçante que chaque individu sur les réseaux/médias sociaux possède un pouvoir grand et terrible, et une responsabilité encore plus grande.

La bataille pour la vérité

D’un côté, les influenceurs surfent sur des demi-vérités et une rhétorique provocatrice pour développer leurs chaînes, négligeant ainsi le contexte d’un conflit ensanglanté. De l’autre, certaines agences de presse semblent désespérées de séduire leur public, cherchant à devenir l’autorité sur les dernières mises à jour. Dans cette atmosphère, distinguer la vérité du mensonge devient une tâche ardue, voire presque impossible.

Le défi est exacerbé lorsque les deux parties en conflit publient leur version des événements avec une confiance effrontée. Dans de telles circonstances, à qui pouvons-nous vraiment accorder notre confiance ?

Pourtant, le plus grand méfait de la guerre réside dans le meurtre de la vérité. La vérité représente le début et la fin de tout terrain d’entente. Elle constitue le dernier lien qui nous relie à tout espoir de réconciliation, de désescalade et, bien que cela puisse sembler étrange en ce moment, à la paix elle-même.

Ce que l’Islam enseigne à ce sujet

Le Saint Coran, l’écriture religieuse sainte de l’islam, énonce une règle d’or concernant la nécessité fondamentale de vérifier les faits avant de les diffuser :

« O vous qui croyez ! Si un injuste vous apporte quelque nouvelle, assurez-vous bien de son exactitude afin que vous ne fassiez tort à certaines gens par ignorance, et que par la suite vous n’ayez à regretter ce que vous avez fait . » (49 :7)

En commentant ce verset, le Deuxième Chef Mondial de la Communauté Musulmane Ahmadiyya, Hazrat Mirza Bashiruddin Mahmood Ahmad (ra), a déclaré :

« Les musulmans sont exhortés à comprendre que même dans les circonstances où les impératifs de la guerre exigent une action rapide pour prévenir une attaque ennemie, les rumeurs, fréquemment répandues en temps de guerre, ne doivent pas être acceptées trop facilement. Elles doivent être examinées et leur véracité doit être établie avant de prendre des mesures en fonction d’elles. » (The Five Volume Commentary, sous 49:7, note de bas de page n°3845)

Parmi d’autres connotations, selon le lexique de Lane, le terme faasiq est catégoriquement associé à « celui qui s’éloigne de la vérité » (Arabic-English Lexicon, E. W. Lane, Londres : Willams & Norgate 1863). Cela signifie que si un faasiq, un individu réputé pour propager des informations non vérifiées ou fausses présente des données, celles-ci doivent être analysées de manière rationnelle et comparées à d’autres sources traitant du même événement.

Une autre pratique risquée au sein de nos cercles bien intentionnés est la propension persistante à partager instantanément des rapports dès qu’ils apparaissent sur nos fils d’actualité.

Le Saint fondateur de l’islam, le Prophète Muhammad (s.a.w.), a déclaré : « Il suffit à un homme pour se prouver menteur de continuer à narrer tout ce qu’il entend (sans le vérifier d’abord). » (Sahih Muslim, Riyadhus-Saliheen, hadith n°1547).

En adoptant la philosophie islamique de la prudence et de l’analyse, l’ensemble du récit du conflit actuel pourrait être préservé de sa propre toxicité en ébullition. Les mensonges élaborés, les images falsifiées et les vidéos trompeuses, autant d’erreurs dangereuses, pourraient être évités avec une vérification sensée des faits et un peu de retenue dans des moments critiques.

De nombreux utilisateurs des médias sociaux ont eux-mêmes remarqué comment le partage ininterrompu d’informations non vérifiées est exploité à des fins insidieuses. Un utilisateur a tweeté : « Beaucoup de gens ne le savent pas, mais ils postent délibérément de telles choses. L’objectif est simplement d’atteindre autant de personnes que possible au moment où un nombre maximal de téléspectateurs essaient de comprendre ce qui s’est passé… »

Utiliser la fragilité émotionnelle actuelle du monde comme une arme n’est rien de moins que malveillant. Pourtant, même certains des partisans les plus ardents de la justice et de l’harmonie interreligieuse et interraciale ont été victimes du retweet de revendications non vérifiées, de la diffusion de rapports faux, voire de la publication active de fausses informations sur le Hamas et/ou Israël, pour ensuite être critiqués plus tard pour la propagation de la fausseté.

Il existe une distinction fondamentale entre la désinformation et la mésinformation. La mésinformation se réfère à une information fausse ou incorrecte, tandis que la désinformation implique la diffusion délibérée de contenus malveillants dans le but de susciter la peur et la méfiance parmi la population.

Lorsque les folies de la guerre se conjuguent avec les pouvoirs insaisissables de l’intelligence artificielle, la désinformation devient encore plus périlleuse. Les deepfakes, des vidéos capables d’usurper l’identité de quiconque et de le faire apparaître en train d’accomplir n’importe quelle action, élargissent les possibilités de la propagande aussi loin que les limites de l’imagination.

Les propagateurs de désinformation et les manipulateurs de propagande rémunérés prospèrent dans le tumulte de la panique et de la confusion généralisées. La mise en place de mesures de protection de l’information pourrait épargner des générations entières de commettre les erreurs cruciales qui se perpétuent actuellement.

La méthode coranique de filtrage de l’information

Une autre forme de distorsion consiste à interpréter l’information à travers le prisme de nos propres préjugés plutôt que de la considérer comme un fait avéré. Le verset coranique ci-dessus évoque au moins trois niveaux à travers lesquels toute information doit passer avant d’être partagée avec autrui.

  1. « Si un injuste vous apporte quelque nouvelle… »

Comme précédemment expliqué, le terme faasiq englobe divers aspects. D’où provient l’information ? Est-ce une source impartiale, ou la personne a-t-elle des intérêts particuliers ? A-t-elle un historique de diffusion de demi-vérités ou de mensonges flagrants ?

Essentiellement, si la source d’information suscite le moindre doute ou une intention suspecte, il convient d’être extrêmement prudent. C’est précisément pourquoi le Saint Prophète Muhammad (s.a.w.) conseillait de « laisser de côté ce qui est douteux pour ce qui ne l’est pas. » (Sunan an-Nasa’i 5711, Livre 51, Hadith No. 5714)

  • Si le fait/la vidéo/le rapport passe avec succès le premier test, le Saint Coran encourage l’application d’une analyse scrupuleuse et judicieuse de l’information elle-même avec les mots « Fa Tabayyanoo… » (assurez-vous bien de son exactitude). Le célèbre lexique de Lane explique que le mot « bayyana » signifie « il l’a rendu apparent, manifeste, évident, clair, ou perspicace » et que « il l’a examiné, regardé dedans, considéré, examiné, étudié à plusieurs reprises, ou délibérément, afin de connaître son véritable état par les signes extérieurs. » (Arabic-English Lexicon, E. W. Lane, Londres : Willams & Norgate 1863)

Le Saint Coran nous encourage à poser des questions difficiles : Est-ce que l’information a du sens ? Dans quelle mesure est-il probable que la manière dont nous avons reçu la nouvelle reflète toute la vérité ? Que disent les autres sources à ce sujet ?

  • Enfin, si nos meilleurs efforts pour filtrer l’information à travers les deux premières couches nous donnent le feu vert, le Saint Coran nous invite à considérer un point final profond dans les mots « afin que vous ne fassiez tort à certaines gens par ignorance, et que par la suite vous n’ayez à regretter ce que vous avez fait. »

Le nombre de personnalités des médias sociaux qui, au cours des dix derniers jours seulement, ont démontré la justesse de ces paroles en publiant des contenus qu’elles ont ultérieurement regrettés après que la vérité complète a émergé, dépasse toute estimation. Les paroles coraniques véhiculent la sagesse empathique nécessaire pour partager ce que nous voyons et entendons. Même si un fait est confirmé comme exact, il est crucial de prendre un moment de pause et de réflexion.

Est-ce que la manière dont cette information est transmise pourrait avoir un impact négatif sur ceux qui la recevront ? Comment cela influencera-t-il les groupes vulnérables ? Est-ce le moment approprié ou optimal pour partager cette information ? Existe-t-il une plateforme ou une autorité plus adéquate à laquelle envoyer ces informations ?

Les émotions devraient être utilisées comme un carburant, et non comme des ancres

Au cœur d’émotions intenses, les passions ardentes peuvent nous aveugler, nous empêchant de reconnaître que le fait de partager une source non confirmée, qui s’avère ensuite fausse ou inexacte, nuit même aux nobles causes. De telles pratiques peuvent jeter un doute sur les voix critiques qui cherchent à soutenir les civils palestiniens innocents.

Lorsqu’une vidéo suscite une forte réaction émotionnelle et que nous la transmettons sans prendre les mesures nécessaires pour vérifier son authenticité, surtout si elle est ensuite révélée comme fausse ou trompeuse, ce qui avait commencé avec une intention pure peut en réalité porter préjudice à la cause.

Prendre quelques minutes critiques de prudence et de réflexion pour examiner le contenu avant de le partager renforcera véritablement la cause de la justice, plutôt que de la freiner. L’asymétrie flagrante du pouvoir et des ressources dont bénéficie Israël, associée au massacre disproportionné de civils palestiniens innocents, penche déjà en défaveur des victimes de ce que beaucoup considèrent comme un génocide.

Adoptons une hâte productive, plutôt qu’une hâte qui affaiblit le plaidoyer en faveur des opprimés.

L’islam offre une solution à tous les défis mondiaux et propose un chemin clair pour la croissance et le développement de l’humanité vers sa forme la plus noble. Même dans le désert arabe du VIIe siècle, il a brillamment identifié et proposé des remèdes concrets pour les sociétés de toutes époques. Les implications sociologiques de l’information et la lourde responsabilité individuelle ne font pas exception.

Si nous sommes sincèrement en quête de vérité, nous avons un devoir immense de traiter chaque morceau d’information avec le plus grand soin. Sans soumettre cette information à l’épreuve de notre bon sens et sans la confronter à d’autres sources, au lieu d’aider la cause, nous pourrions facilement devenir complices en attisant les flammes de la guerre.


À propos de l’auteur : Sabahat Ali est un imam de la communauté musulmane Ahmadiyya dans la Silicon Valley, aux États-Unis. Il fait partie du comité éditorial et est également rédacteur en chef de The Existence Project pour The Review of Religions.

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