Femme La femme en Islam

Safiyya bint Houyayy, la mère juive de tous les musulmans

Malgré un passé marqué par la tragédie, Safiyya bint Houyayy a su rayonner par sa foi inébranlable, sa douceur et sa noblesse d’âme.

Safiyya bint Houyayy, de la tribu juive Banou Nadhir établie à Médine à l’époque du Prophète Mohammad (s.a.w.), était une descendante du prophète Aaron (a.s.), frère de Moïse (a.s.).

Elle descendait également de la tribu de Levi, fils de Jacob (a.s.), petit-fils d’Isaac (a.s.), et arrière-petit-fils d’Abraham (a.s.). Sa mère, Barra bint Samaw’al, appartenait à la tribu Banou Qouraydah.

À Médine, deux tribus juives, les Banou Qouraydah et les Banou Nadhir, résidaient dans des forteresses environnantes, pratiquant l’agriculture. Safiyya (r.a.) a été élevée par son père, Houyayy Ibn Akhtab, qui était le chef des Banou Nadhir. Elle a d’abord épousé Salam bin Mishka. Après leur divorce, elle a épousé Kinanah bin Abi al-Haqiq, qui tomba aux combats lors de la bataille de Khaybar.

Après avoir émigré à Médine avec ses compagnons, le Saint Prophète Mohammad (s.a.w.) fut largement accepté comme leader par les musulmans, les juifs et les tribus païennes. Il instaura un accord de paix, appelé la « Charte de Médine », qui garantissait la coexistence harmonieuse, le respect mutuel et la collaboration entre les différentes communautés de la ville et fut un jalon important dans l’histoire de l’Islam. Sous l’égide du Prophète Mohammad (s.a.w.), ce traité introduisait des principes novateurs en matière de droits de l’homme et de gouvernance. En vertu de ses dispositions, chacun pouvait exercer sa foi librement. La charte stipulait : « Les juifs et les musulmans vivront en paix ensemble, chacun étant libre de pratiquer sa religion. » Hélas, les juifs violèrent à plusieurs reprises les termes de l’accord.

Après cinq mois de réflexion, le Saint Prophète Mohammad (s.a.w.) décida d’exiler les juifs de Khaybar dont la proximité leur permettait de conspirer aisément contre les musulmans. En août 628, le Prophète (s.a.w.) dirigea une armée de 1 600 hommes vers Khaybar. Entourée de terrains rocailleux hérissés de petits forts, la forteresse juive représentait un défi redoutable pour la modeste armée musulmane. Malgré quelques escarmouches, les forces musulmanes campant aux abords de Khaybar ne purent pénétrer la citadelle. Les juifs avaient concentré leurs troupes à l’intérieur des murs fortifiés, repoussant toute tentative d’assaut. Cependant, le Prophète Mohammad (s.a.w.) reçut une révélation divine annonçant que Dieu accorderait la victoire aux musulmans grâce à un homme animé d’un amour profond pour Dieu et son Messager, et qui était lui-même chéri par eux. Cette nouvelle suscita un vif émoi parmi les musulmans, qui attendaient avec impatience pour connaître l’identité de ce héros destiné. Au lever du soleil, une foule se précipita autour du Prophète Mohammad (s.a.w.), tous désireux d’obtenir l’emblème de leur armée. « Où est Ali, fils d’Abou Talib ? » demanda le Prophète (s.a.w.). « Il souffre d’une douleur aux yeux » fut la réponse. Le Prophète fit aussitôt venir Ali. D’une douce caresse, il appliqua sa salive sur les yeux de son disciple et murmura une prière. Après avoir été miraculeusement guéri, Ali (r.a.) reprit ses forces, comme si elles ne l’avaient jamais affaibli. Le Prophète Mohammad (s.a.w.) lui confia alors le commandement de l’armée. Ali (r.a.) demanda au Prophète (s.a.w.) : « Ô Messager d’Allah, dois-je combattre l’ennemi jusqu’à ce qu’il embrasse l’Islam ? » Le Prophète (s.a.w.) répondit : « Avance prudemment vers leur camp. Invite-les à découvrir l’Islam et explique-leur les responsabilités qui en découlent. Souviens-toi qu’Allah t’a promis que si tu guides une seule personne, cela te vaudra plus que des troupeaux entiers de chameaux rouges. »[1]

Les juifs étant retranchés dans leur forteresse de Khaybar, Ali (r.a.) et ses alliés parvinrent à y pénétrer avant la tombée de la nuit. Un accord de paix fut conclu, stipulant que tous les juifs, leurs familles et leurs enfants devaient abandonner Khaybar et s’établir loin de Médine.

Kinanah, le mari de Safiyya (r.a.), tomba au combat lors de la bataille. Son père trouva également la mort lors de la bataille du Fossé. Safiyya (r.a.) évoqua de l’hostilité de ce dernier à l’égard du Prophète Mohammad (s.a.w.) en ces termes : « J’étais la fille préférée de mon père et de mon oncle, Abou Yasser. Lorsqu’ils recevaient d’autres enfants en visite, ils me prenaient toujours dans les bras. Quand le Prophète Mohammad (s.a.w.) voyageait vers Médine, il s’arrêta à Qouba, où vivaient les Bani Amr bin Auf. Mon père, Houyayy Ibn Akhtab, et mon oncle, Abou Yasser bin Akhtab, s’y rendirent en secret. Au coucher du soleil, ils rentrèrent, visiblement exténués. Comme à mon habitude, je courus vers eux, mais cette fois, ils ne me prêtèrent aucune attention, tant ils étaient accablés de chagrin. Mon oncle, Abou Yasser, se tourna vers mon père et demanda : « Est-ce bien le Prophète attendu ? » Mon père répondit sans hésiter : « Oui, par Dieu ! » Abou Yasser, toujours incrédule, insista : « Tu es certain que c’est lui ? »

Mon père confirma avec conviction : « Oui. » Abou Yasser s’enquit alors : « Quelles sont tes intentions le concernant ? » Mon père répondit avec détermination : « Par Dieu, je lui serai hostile aussi longtemps que je vivrai. »[2]

Ainsi, malgré les traités de paix, les juifs de Médine conservèrent leur animosité envers le Messager d’Allah (s.a.w.), tentant à plusieurs reprises de l’assassiner. Ils incitèrent les tribus contre lui, tout en sollicitant l’aide des Romains et des Perses, mais Allah le protégea, conformément à Sa promesse.[3]

Safiyya (r.a.) fut faite prisonnière au cours de la bataille de Khaybar. Initialement placée chez Dihyah al-Kalbi, celui-ci apprit qu’elle était la veuve d’un chef et la fille du chef de Khaybar.

Considérant qu’il serait plus honorable pour elle de résider dans la maison du Prophète Mohammad (s.a.w.), Dihyah la confia à sa garde. Le Prophète la plaça alors chez Oumm Soulaym, offrant ainsi un environnement sûr et respectueux à cette nouvelle venue.

Un jour, le Prophète Mohammad (s.a.w.) dit à Safiyya (r.a.) : « Ton père a toujours été hostile envers moi et a tenté de me tuer, jusqu’à ce que Dieu le fasse périr. » Safiyya (r.a.) répondit : « Ô Messager de Dieu, votre religion n’enseigne-t-elle pas que nul ne portera le fardeau d’un autre ? »[4]

Le Prophète Mohammad (s.a.w.) ajouta : « Si tu choisis d’embrasser l’Islam, je t’épouserai, mais si tu préfères rester juive, je te libérerai pour que tu rejoignes ta famille. »

Safiyya (r.a.) répondit : « Ô Messager de Dieu, j’avais déjà adopté l’Islam et cru en vous bien avant que vous ne m’appeliez ici. Dans ma foi juive, je n’ai ni père ni frère. Bien que vous me proposiez de me libérer, pour moi, Allah et son Prophète (s.a.w.) sont plus précieux que la liberté ou le retour parmi les miens. »[5]

Le Saint Prophète (s.a.w.) la libéra et elle résida chez Oumm Soulaym (r.a.) jusqu’à la fin de son Iddah (période de veuvage). Par la suite, le Saint Prophète (s.a.w.) l’épousa et organisa un banquet en son honneur. Selon Anas, Safiyya (r.a.) était assise derrière le Prophète sur un chameau, et celui-ci avait pris soin de plier un vêtement pour la mettre à l’aise.[6]

Lors de leur arrivée à Sadd al-Rawha, le Prophète Mohammad (s.a.w.) invita des hommes à partager un repas, marquant ainsi le repas de noces avec Safiyya. Ensuite, ils se mirent en route vers Médine. Le Messager d’Allah (s.a.w.) s’assit près de son chameau pour que Safiyya (r.a.) puisse poser ses pieds sur ses genoux pour s’asseoir sur la monture.[7]

Ce mariage honorait Safiyya (r.a.) et compensait la perte de sa famille. Il servait également un but diplomatique, apaisant les tensions avec les juifs. Cela ouvrait la voie à une paix durable, comme c’était le cas avec Banou Mustaliq lorsque le Prophète (s.a.w.) épousa Jouwayriyya bint al-Harith (r.a.).

Safiyya (r.a.) ne fut pas contrainte d’épouser le Prophète (a.s.). Au contraire, il lui donna le choix de rester libre, tout en lui témoignant sa miséricorde. Le Prophète (s.a.w.) attendit après sa demande en mariage pour permettre à Safiyya (r.a.) de réfléchir librement à sa décision, dans le cas où elle ne souhaitait pas s’unir à lui. Par ailleurs, Safiyya (r.a.) embrassa l’Islam après que toute amertume envers le Messager (s.a.w.) s’était dissipée de son esprit.

Le Prophète (s.a.w.) l’apaisa avec compassion jusqu’à ce que ses ressentiments s’estompent. Elle explique : « Le Messager d’Allah (s.a.w.) était celui que je détestais le plus. Il avait tué mon mari et mon père. Cependant, il a continué à m’exprimer ses regrets, en disant : « Ton père a incité les Arabes contre moi et a fait ceci et cela », jusqu’à ce que le poids sur mon cœur s’allège. »[8]

Dès sa captivité, le Prophète (s.a.w.) s’efforça de réconforter Safiyya (r.a.). Au moment de sa capture, elle se trouvait avec une autre femme. Tandis qu’elles marchaient sous la garde de Bilal (r.a.), elles passèrent devant les corps sans vie de leur peuple. L’une des femmes reconnut son mari parmi les défunts et se mit à sangloter et à hurler de douleur. Le Prophète réprimanda Bilal : « As-tu perdu toute compassion ? Tu laisses ces femmes passer devant les corps de leurs maris tombés au combat ? » Bilal les éloigna aussitôt de la scène.[9]

Dans un rêve, Allah avait révélé à Safiyya (r.a.) qu’elle allait s’unir avec le Saint Prophète Mohammad (s.a.w.). Celui-ci remarqua la marque d’une gifle sur son visage et lui en demanda la raison. Safiyya (r.a.) expliqua qu’elle avait vu dans un songe que la lune était tombée dans son giron. Lorsqu’elle en informa son mari, Kinanah, celui-ci la gifla en disant : « Tu penses devenir l’épouse du roi des Arabes ? »[10]

La lune incarnait le symbole de l’Arabie et celle-ci tombant dans son giron signifiait un lien intime avec le roi de ce pays. Le rêve de Safiyya (r.a.) révèle la véracité du Prophète Mohammad (s.a.w.) et la capacité de Dieu à transmettre des messages à travers les songes.

Safiyya (r.a.) était profondément attachée à son époux, le Prophète (s.a.w.), et le préférait à sa famille et à sa tribu. Cet amour était nourri par le traitement bienveillant qu’il lui accordait, malgré l’hostilité de son père qui avait tenté de le tuer à plusieurs reprises. En signe de cet amour, Safiyya (r.a.) offrit à Fatima, la fille du Prophète, des boucles d’oreille en or de grande valeur.

Les épouses s’étaient rassemblées autour du Saint Prophète Mohammad (s.a.w.) sur son lit de mort. Safiyya (r.a.), émue, lui confia : « J’aimerais, ô Prophète de Dieu, souffrir de cette maladie à votre place. » Un regard s’échangea entre les autres épouses. Le Prophète Mohammad (s.a.w.), remarquant leur geste, déclara : « Par Dieu, le Maître de ma vie, ses paroles sont sincères. »[11]

Un jour le Prophète (s.a.w.) trouva Safiyya (r.a.) en larmes. Sa voix tremblant de peine, elle lui confia : « J’ai été blessée par les paroles de Hafsa et d’Aïcha. Elles se vantent d’être vos cousines et me considèrent comme inférieure. » Le Prophète, rempli de compassion, lui répondit : « Pourquoi ne leur as-tu pas dit : « Comment osez-vous me juger inférieure ? Mon époux est le Prophète Mohammad, mon père est Aaron, et mon oncle est Moïse. » »[12]

Un acte admirable de Safiyya (r.a.) mérite d’être souligné. Pendant le siège d’Outhman (r.a.), le troisième calife de l’Islam, les rebelles lui refusèrent cruellement tout accès à l’eau et à la nourriture. Kinanah, le serviteur de Safiyya (r.a.), a rapporté : « J’accompagnais Safiyya (r.a.) pour porter secours à Outhman (r.a.) lorsqu’Al-Ashtar, chef des rebelles de Koufa, nous croisa. Il frappa le visage de sa mule jusqu’à ce qu’elle chancelle. Safiyya (r.a.) dit alors : « Ramène-moi, pour que cet homme ne m’humilie pas. » De retour chez elle, elle a construit un passage en bois reliant sa maison à celle d’Outhman (r.a.) pour lui faire parvenir de l’eau et de la nourriture. »[13]

La Mère des Croyants, Safiyya (r.a.) bint Houyayy (r.a.), a transmis de nombreux enseignements (hadiths) du Saint Prophète (s.a.w.).

Après une vie bien remplie, elle s’est éteinte en l’an 50 après l’Hégire, sous le règne de Mou’awiya. Elle a été inhumée au cimetière d’Al-Baqi’, aux côtés des autres épouses du Prophète (que Dieu soit satisfait d’elles toutes).

À propos de l’auteur : Reem Shraiky est traductrice et chercheuse, à l’International Arabic English Translation & Research Office, au Royaume-Uni. Elle contribue régulièrement à The Review of Religions.


[1] Sahih al-Bukhari, Kitab al-Maghazi, hadith 4210.

[2] Ibn Hisham, Al-Sirah al-Nabawiyyah, vol. 2, p. 257-258

[3] Le Saint Coran, 5:68

[4] Le Saint Coran, 6:165

[5] Ibn Sa‘d, Al-Tabaqat al-Kubra, vol. 8, p. 97

[6] Sahih al-Bukhari, Kitab al-At’imah, Hadith 5425

[7] Sahih al-Bukhari, Kitab al-Buyu’, Hadith 2235

[8] Al-Mu’jam al-Kabir, vol. 24, Maktabah Ibn Taimiyyah, Égypte, 1994, Hadith 177, p. 67

[9] Guillaume, The Life of Muhammad : A translation of Ibn Ishaq’s Sirat Rasul Allah, Oxford University Press, 1978, p. 515

[10] Ibn Sa‘d, Al-Tabaqat al-Kubra, Al-Maktabah al-Mustafa, 2016, vol. 8, 12 097

[11] Ibn Hajar al-Asqalani, Al-Isabah fi Tamyiz al-Sahabah, vol. 7, p. 741

[12] Jami’al-Tirmidhi, Kitab al-Manaqib ‘an Rasul Allah, Hadith 3892

[13] Ibn Sa’d, Al-Tabaqat al-Kubra, vol. 8, p. 128