Femme

Quand les pleurs cessent et que le silence s’installe

Après l'accouchement, un silence pesant s'installe. Fatigue, isolement, tristesse : la dépression post-partum s’infiltre sans prévenir.

Misbaah Kawthar Soodhun-Bhunnoo, Île Maurice

Vous pensiez que le plus difficile, c’était l’accouchement. Les longues heures de travail, les machines qui bipent, les douleurs à chaque contraction. Mais personne ne vous prépare à ce qui vient après la naissance, quand les pleurs cessent et que le silence s’installe… pas un silence apaisant, mais quelque chose d’autre.

Au début, vous vous dites qu’elle est juste fatiguée. Bien sûr qu’elle l’est : le sommeil se compte en minutes, pas en heures, et elle donne tout à son nouveau né. Mais il y a chez elle une lourdeur que le sommeil ne peut pas alléger. Elle sourit moins. Son regard vous traverse, même quand vous êtes juste en face d’elle. Si vous lui demandez comment elle va, elle vous dira « ça va ». Mais ses yeux racontent autre chose. Ils semblent éteints, comme si quelqu’un a baissé la lumière à l’intérieur d’elle.

Chères lectrices, ce sentiment vous parle-t-il ? Et si ce n’est pas votre propre vécu, l’avez-vous déjà perçu chez un proche ? Chers lecteurs, avez-vous déjà remarqué ce changement silencieux chez votre épouse, quelque chose de non dit mais profondément ressenti ?

L’Islam accorde un statut unique aux mères. En effet, leur statut est si élevé qu’il place le paradis sous leurs pieds.[1] Cette stipulation entraîne une énorme responsabilité sur les épaules des mamans. De manière controversée, d’innombrables mères se retrouvent submergées non pas par la joie et les liens affectifs, comme beaucoup s’y attendent, mais par l’obscurité, la peur et le désespoir. Elles souffrent en silence, honteuses, car la maternité est censée être instinctivement heureuse. Pourtant, pour beaucoup, la transition vers la maternité ne s’accompagne pas d’euphorie, mais d’un trouble mental : la dépression post-partum. Environ 1 femme sur 10 souffre de dépression post-partum après l’accouchement.[2] Pourquoi en serait-il ainsi ? Ces mères, n’aiment-elles pas leurs enfants ? Ne comprennent-elles pas la responsabilité qui leur incombe ?

Qu’est-ce que la dépression post-partum?

La dépression post-partum est un mélange complexe de changements physiques, émotionnels et comportementaux qui surviennent chez certaines femmes après l’accouchement. Il ne s’agit pas seulement d’un « baby blues », cette brève période de sautes d’humeur et de pleurs que connaissent de nombreuses femmes peu de temps après l’accouchement. La maladie est plus profonde, plus persistante et peut interférer de manière significative avec la capacité d’une mère à s’occuper d’elle-même ou de son bébé.

Les symptômes comprennent des sentiments de tristesse extrême, de désespoir, d’irritabilité, de perte d’intérêt pour les activités, des changements dans l’appétit ou les habitudes de sommeil, des difficultés à tisser des liens avec le bébé et même, dans les cas les plus extrêmes, des idées de se faire du mal ou de faire du mal à l’enfant.

Malgré son impact, la dépression post-partum passe souvent inaperçue. Selon l’Organisation mondiale de la santé, environ 10 à 15 % des femmes dans le monde souffrent de dépression post-partum,[3] bien que de nombreux experts pensent que ce chiffre est beaucoup plus élevé en raison d’une sous-déclaration. Des études suggèrent que les taux augmentent considérablement dans les pays en développement, où l’accès aux soins de santé et aux services de santé mentale est limité.

La pandémie de Covid n’a fait qu’aggraver le problème. L’isolement, le stress financier et la peur de l’infection ont exacerbé les problèmes de santé mentale des femmes enceintes et des femmes en post-partum. Une étude réalisée en 2020 indique que les taux de dépression post-partum ont triplé pendant la pandémie.[4]

Quelle est la cause de la dépression post-partum ?

Il n’existe pas de cause unique à la dépression post-partum. C’est une combination de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Nul besoin de le dire, l’accouchement est physiquement éprouvant. Dans certains cas, des complications inattendues pendant l’accouchement ou un sentiment de perte de contrôle peuvent contribuer à la dépression post-partum. Combiné au manque de sommeil, à la responsabilité de s’occuper d’un nouveau-né et aux craintes quant à sa capacité à être un « bon » parent, le stress peut devenir écrasant. Les femmes ayant des antécédents personnels ou familiaux de dépression ou d’anxiété sont plus à risque.

Une femme subit plusieurs changements hormonaux au cours de sa vie. Après l’accouchement, les taux d’œstrogène et de progestérone chutent rapidement, ce qui peut entraîner des changements d’humeur. Les niveaux d’hormones thyroïdiennes peuvent également diminuer, ce qui entraîne la fatigue.

Il est important de comprendre que la dépression postnatale peut toucher n’importe quelle femme, quels que soient son âge, sa race, son statut socio-économique ou le nombre d’enfants qu’elle a eus. Même les femmes qui souhaitaient désespérément devenir mères peuvent souffrir de dépression post-partum. L’amour pour un enfant ne met pas une mère à l’abri d’une maladie mentale.

Cependant, il peut être difficile de faire la distinction entre les difficultés post-partum « normales » et la maladie en question. D’ordinairement, si les sentiments de tristesse, d’anxiété ou de désespoir durent plus de deux semaines, interfèrent avec le fonctionnement quotidien ou s’aggravent avec le temps, il est temps de demander de l’aide. Certains signes peuvent indiquer une psychose post-partum, une affection rare mais grave qui nécessite des soins en urgence.

Un changement culturel s’impose

Malgré une prise de conscience croissante sur plusieurs troubles mentaux lors du 21e siècle, la santé mentale des mères est encore stigmatisée. De nombreuses mères hésitent à s’exprimer par crainte d’être jugées. Les récits culturels qui présentent la maternité comme purement joyeuse et instinctive laissent peu de place aux réalités désordonnées et douloureuses auxquelles de nombreuses femmes sont confrontées. Sa Sainteté (a.b.a.), cinquième Calife de la communauté islamique Ahmadiyya, a souvent parlé de la nécessité d’identifier et de soigner correctement les personnes souffrant de troubles mentaux.

Bien qu’il ne soit pas toujours possible de prévenir la dépression post-partum, certaines mesures peuvent en réduire le risque ou la gravité :

1. Éducation avant la naissance

La sensibilisation est cruciale. Les futures mères et leurs partenaires devraient être informées sur la dépression post-partum lors des visites prénatales. Le fait de savoir ce qu’il faut surveiller peut inciter à prendre des mesures précoces.

2. Construire un réseau de soutien

Le soutien social des partenaires, de la famille et des amis joue un rôle majeur dans la santé mentale post-partum. Encourager les mères à demander de l’aide pour des tâches ménagères, ou simplement leur offrir de la compagnie, peut faire toute la différence.

3. Planifier la période postnatale

Tout comme les parents planifient le travail et l’accouchement, ils doivent également se préparer émotionnellement à la vie après la naissance. Il s’agit notamment de prévoir du repos, des attentes réalistes et des visites de contrôle de la santé mentale.

4. Contrôles avec les prestataires de santé mentale

Le dépistage de la dépression pendant la grossesse et la période postnatale devrait être systématique. Des outils tels que l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg (EPDS) aident les cliniciens à évaluer si une mère peut être à risque.

5. Donnez la priorité aux soins personnels

Dormez quand vous le pouvez, mangez des aliments nutritifs, faites de courtes promenades si vous le pouvez, et donnez-vous la permission d’en faire moins. Votre bien-être est essentiel à celui de votre bébé.

6. Communiquez ouvertement

Parlez à votre partenaire, à votre médecin ou à un ami de ce que vous ressentez. Exprimer ses émotions sans craindre d’être jugée est une étape cruciale de la guérison.

7. Limitez votre exposition aux médias sociaux

Les représentations irréalistes de la maternité peuvent alimenter un sentiment d’inadéquation. Rappelez-vous que personne ne partage toute l’image.

La dépression post-partum se traite très bien. La clé réside dans un dépistage précoce et une intervention opportune.

La psychothérapie peut aider les mères à traiter leurs émotions, à gérer le stress et à modifier les schémas de pensée néfastes. Pour de nombreuses femmes, le simple fait de parler à une personne formée à l’écoute peut s’avérer extrêmement bénéfique. La thérapie de groupe ou les groupes de soutien par les pairs mettent en contact des mères qui connaissent des difficultés similaires. Entendre dire « vous n’êtes pas seule » par quelqu’un qui comprend vraiment peut être profondément rassurant.

Les antidépresseurs sont souvent prescrits en cas de dépression modérée à sévère. En 2019, la FDA américaine a approuvé la brexanolone, le premier médicament spécifiquement destiné à traiter la dépression post-partum. Administré par voie intraveineuse pendant 60 heures en milieu hospitalier, il agit rapidement et donne des résultats prometteurs.

Concernant la mode de vie, un sommeil régulier (autant que possible avec un nouveau-né), une alimentation nutritive, de l’exercice physique doux et des pratiques de pleine conscience comme la méditation peuvent considérablement atténuer les symptômes. Il est important que les mères aient la permission, de la part de la société et d’elles-mêmes, de prendre soin de leurs propres besoins.

Dieu, Le Tout Compatissant

Mais avant tout, n’oublions pas l’outil le plus efficace pour tous nos maux — la prière. Il nous faut tourner vers notre Créateur, le Guérisseur, le Tout-Puissant. À ce propos, lors d’une session questions-réponses avec les Waaqifate Nau (les filles dédiées pour la diffusion des véritables enseignements de l’Islam) en 2020, Sa Sainteté (a.b.a.) a prodigué le conseil suivant :

« Premièrement, elles devraient demander à leurs maris de s’occuper d’elles. Deuxièmement, elles doivent implorer Allah le Tout-Puissant et prier pour qu’Allah le Tout-Puissant les soulage d’une telle condition.

Cela peut arriver aux femmes, même si ce n’est pas le cas pour toutes. Parfois, les femmes n’en font pas l’expérience avec leur premier enfant, mais cela se produit avec le deuxième.

C’est pourquoi il faut se souvenir d’Allah. Les maris doivent également prendre soin d’elles. De plus, il faut utiliser sa propre volonté pour sortir de cette phase.

Par exemple, si une personne n’arrive pas à dormir la nuit, elle doit prendre 10 gouttes du médicament homéopathique Passieflora.

Si l’état d’une personne s’aggrave, elle doit m’écrire et je lui dirai quelles mesures supplémentaires elle peut prendre. Chaque cas est différent. Le traitement est différent pour chacun. »[5]

La dépression post-partum n’est pas juste de la tristesse. C’est un brouillard, un poids, un silence. Nous rappelons aux « qawwam » (les gardiens de la famille) qu’aimer quelqu’un à travers cela, c’est apprendre à rester dans ce silence avec lui, même quand ça fait peur. Dans les luttes silencieuses du cœur, quand les mots ne suffisent plus, quand même l’amour semble lointain, le rappel d’Allah offre une paix. Comme le déclare le Saint Coran :

«  Ceux qui croient et dont les cœurs trouvent la tranquillité dans le souvenir d’Allāh. Oui, c’est dans le souvenir d’Allāh que les cœurs trouvent la tranquillité »[6]

Et lorsque les mots nous manquent, souvenons-nous de cette prière bouleversante :

Ya Hayyu Ya Qayyum Bi Rahmatika Asthaghees

« Ô le Vivant, l’Existant de Lui-Même, accorde-moi Ta miséricorde. »[7]

Pour les épuisés, les souffrants silencieux et ceux qui marchent à leurs côtés, cette prière devient le souffle de l’âme.

L’invocation suivante, prononcée par Moïse (a.s.), exprime une humilité profonde, un cœur ouvert à toute forme de bien que Dieu choisira d’accorder. Elle est particulièrement touchante dans les moments d’épreuve, quand nous n’avons plus rien d’autre que notre besoin sincère d’Allah.

Rabbi Inni Lima Anzalta Illayya Min Khayrin Faqir

« Mon Seigneur, en vérité je suis un mendiant et j’ai besoin de tout bien que Tu voudras bien faire descendre sur moi.»[8]

La dépression post-partum est une épreuve qui demande du temps pour guérir. Il est important d’accepter l’aide bienveillante que l’on nous offre et de se rappeler que le Dieu Unique, Tout Compatissant, est toujours présent pour apaiser les cœurs et soulager toutes les douleurs de ce monde.


À propos de l’auteure: Misbaah Kawthar Soodhun-Bhunnoo est avocate et professeure de droit. Elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en droit avec spécialisation en résolution alternative des conflits internationaux (ADR). Elle contribue régulièrement aux différents départements de la Lajna Imaillah  à l’île Maurice (Organisation auxiliaire des femmes ahmadies), en particulier en menant des recherches et en rédigeant pour le département de Tarbiyyat (formation morale), ainsi qu’en participant à des projets de la MTA Africa.


[1] Hadith : Sunan an-Nasa’i 3104

[2] https://annals-general-psychiatry.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12991-019-0244-4?

[3] https://www.who.int/teams/mental-health-and-substance-use/promotion-prevention/maternal-mental-health?

[4] https://www.frontiersin.org/journals/global-womens-health/articles/10.3389/fgwh.2020.588372/full?utm_source=chatgpt.com

[5] https://youtu.be/4KgPLg8dCf0?t=2531

[6] Le Saint Coran, 13:29

[7] Divine attribute of Al Qawiy (The Powerful), sermon du vendredi prononcé par Mirza Tahir Ahmad (r.h.), quatrième Calife de la communauté musulmane Ahmadiyya, 4 avril 2003.

[8] Le Saint Coran, 28:25