Science

Qui sont les Djinns ?

Le monde musulman regorge de croyances multiples à l'égard des djinns. Certains croient que le Coran fait référence à des êtres maléfiques, d'autres à des êtres ayant des pouvoirs surnaturels. Qu'en est-il vraiment ?

Par Sajid Ahmad Muslun

Alors que les microorganismes sont décrits par tous les dictionnaires comme des êtres vivants si petits qu’ils sont invisibles à l’œil nu, la proposition selon laquelle ils constitueraient une espèce de djinn, un terme arabe qui désigne toutes chose cachées et imperceptibles, suscite pourtant des froncements de sourcils. Cette idée, présentée pour la première fois par le quatrième Calife (r.a.) du mouvement Ahmadiyya dans son célèbre traité Revelation Rationality Knowledge & Truth[1], contient la proposition révolutionnaire que l’usage coranique du terme djinn ferait parfois référence à des organismes bactériens et archéens qui peuplaient la planète avant la création de l’homme. Les premiers à s’opposer à cette proposition sont, paradoxalement, les musulmans orthodoxes. Pourtant, ce sont ces mêmes personnes qui se revendiquent être des passionnés de « miracles coraniques » et de passages à teneur scientifique qui prouvent l’Omniscience de l’Auteur de leur livre sacré, qu’ils considèrent comme une révélation de la part de Dieu. Selon plusieurs savants musulmans, l’idée selon laquelle certains organismes microscopiques cachés du regard de l’homme seraient conformes à la description coranique et lexicologique du djinn n’est pas acceptable, et représenterait même une innovation dont il faut se préserver. Ils soutiennent que les djinns désignent principalement, et en toute exclusivité, des créatures surnaturelles et invisibles dotées de la capacité de posséder l’esprit des gens, de faire apparaitre des fruits et des légumes par enchantement dans le non-respect des règles régissant la floraison, et d’accomplir comme par magie des tâches industrielles de haute gamme. Comme l’objectif de cet article est d’explorer le potentiel microbiologique du terme djinn et non de démolir la position traditionnelle, thème qui sera abordé ultérieurement, les quelques points suivants suffiront pour illustrer les discordances inhérentes de la croyance orthodoxes du djinn :

  • Selon les hadiths, le Saint prophète (s.a.w) serait parti à la rencontre d’une délégation de djinns durant la nuit[2]. Pourquoi une rencontre secrète avec des créatures invisibles ?
  • Selon le Saint Coran, les djinns qui rencontrèrent le Messager d’Allah (s.a.w.) se convertirent à l’Islam[3]. La croyance traditionnelle selon laquelle les djinns possèdent des pouvoirs surnaturels pose problème car le Saint Coran dit au sujet du croyant :

« Nous t’avons envoyé en tant que Témoin, Porteur de la bonne nouvelle et Avertisseur, afin que vous croyiez en Allah et en Son Messager, et que vous l’aidiez et l’honoriez, et que vous Le glorifiiez matin et soir. »[4]

  • Pourquoi ces djinns musulmans capables de tout faire ne se sont-ils pas portés au secours du Saint prophète (s.a.w.) et de ses compagnons lorsqu’ils souffraient d’une persécution des plus tortueuses à la Mecque ?
  • Où étaient ces djinns croyants, capables de faire apparaitre des fruits et des légumes comme par magie, lorsque le Messager d’Allah (s.a.w.) et ses compagnons n’avaient rien à se mettre sous la dent pendant la bataille du fossé ?
  • Quelles sont les raisons qui justifient l’absence des djinns musulmans et leur non-participation aux batailles qui opposèrent les musulmans faibles et pauvrement équipés aux armées féroces de la Mecque?

En vérité, la croyance traditionnelle musulmane au sujet du Djinn ne possède aucun fondement coranique, n’a jamais été soutenue par aucun prophète de Dieu, et ressemble étrangement aux croyances des peuples idolâtres du passé qui accusaient les pieux messagers d’Allah de Majnun[5] – possédés par des djinns. Quelle est donc la véritable signification du djinn ? Pour répondre à cette question, le deuxième Calife (r.a.) présente dans le quatrième volume de son Tafsir-e-Kabir certains principes de bases qui servent de point de départ pour toute investigation visant à comprendre la nature des diverses catégories de djinns mentionnées dans le Saint Coran. L’une des règles qu’il présente est que le terme djinn, vu sa relation intrinsèque avec des notions telles que la dissimulation, l’imperceptibilité et l’obscurcissement, sert à dénoter toute une panoplie de concepts et de créatures dont l’existence transcende d’une manière ou d’une autre la vision de l’homme :

« Mon constat se résume par ce qui suit : Eu égard à l’usage répandu que connait le vocable جن (djinn) à divers endroits dans le Saint Coran et dans les traditions prophétiques (hadith), il se retrouve que les différentes utilisations dudit vocable, quoique réparties à travers toute un encombrement de significations diversiformes et un ensemble de connotations éparses, récapitulent nonobstant, et sans exception, les deux sens suivants, à savoir « celui qui est caché » et « celui qui dissimule ». Ainsi, le terme جن (djinn) s’applique de prime abord à toutes choses, toutes créatures ou tout êtres humains dont l’existence outrepasse le champ de vision et se réfère, de surcroit, à tous ce qui recouvre et qui enveloppe.  Force est de reconnaitre, cependant, que l’action qui consiste à recouvrir et à envelopper dénote tout naturellement une large panoplie de choses éparses et diverses, ce qui implique que la nomenclature musulmane regroupe sous la désignation جن (djinn) une abondance de choses et de concepts versatiles. »[6]

La règle présentée ci-haut est reprise par le quatrième Calife (r.a.) en guise de préambule dans le chapitre de son livre intitulé « The Djinn ». Il explique que la nature subtile, le caractère invisible, et la notion de recouvrement associées à certains êtres vivants sont les raisons pour laquelle ils sont désignés par des termes issus de la racine J-N-N. Par exemple, le paradis est appelé Jannah car il s’agit d’un endroit de jardins denses et très ombragées. A ce sujet, l’Imam Raghib, l’auteur d’un célèbre livre sur les termes coraniques écrit :

. والجَنَّةُ: كلّ بستان ذي شجر يستر بأشجاره الأرض

« Jannah : Tout jardin densément peuplé d’arbres qui recouvrent ou qui cachent le sol. »

Les dictionnaires de la langue arabe définissent djinn comme étant une référence au serpent. Al Farahadi, au VIIIème siècle, écrit :

والجانُّ: حيَّةٌ بيضاء،

« Jan [dénote] un serpent blanc. »

Cette définition est confirmée par tous les grands dictionnaires de la langue arabe, certains précisent que Jan évoque une espèce de serpent de couleur blanc ayant des yeux à bordure noire[7][8][9]. L’application du terme djinn, qui évoque, nous le rappelons, les notions de dissimulation et d’éloignement, aux serpents serait attribuables au fait que ces derniers restent souvent cachés du regard des gens et mènent une vie à l’écart des autres animaux à l’intérieur des fissures des roches et dans les orifices terrestres[10]. Il convient de noter qu’à deux endroits dans le Saint Livre, le célèbre serpent évoqué dans l’histoire du prophète Moïse (a.s.) est appelé Jan[11], dérivé de la même racine. L’aspect organismique du Jinn est de surcroit mis en exergues par l’expression [12]جن الجنين في الرحم que nous trouvons dans tous les grands dictionnaires de la langue arabe, et qui signifie que le fœtus est appelé Jinin car il est dissimulé est enveloppé dans le ventre de la mère. Le Saint Coran déclare a un endroit :

« Il vous connaît mieux que quiconque quand Il vous a créés de la terre, et aussi quand vous n’étiez que des embryons – Ajinna – dans le ventre de votre mère. »[13]

Ainsi, une étude du Saint Coran et de la langue arabe révèle que le terme Jinn est utilisé pour dénoter divers êtres vivants et certains stades du développement biologique, qui se caractérisent par le recouvrement, l’invisibilité et la dissimulation. Cela dit, la question suivante nous vient naturellement à l’esprit : « Pourquoi considérer comme inadmissible, ou encore de déraisonnable, la proposition selon laquelle le terme djinn dénoterait des micro-organismes, qui sont universellement définis comme :

  1. « Un type d’organisme vivant, non-visible à l’œil nu à cause de sa petite taille. » (l’internaute)[14]
  2. « Des êtres vivants si petits qu’ils ne sont observables qu’au microscope. » (Futura Science)[15]
  3. « Un organisme vivant […] invisible a l’œil nu. » (Wikipédia)[16]
  4. « Organisme vivants microscopiques invisible a l’œil nu. » (Actu environnement)[17]
  5. « Un organisme de nature végétale (microalgues, flore) ou animale (microbe) [qui] ne peuvent pas être vus à l’œil nu. » (aqua portail)[18]

Cette proposition est de surcroît soutenue par une récente recherche publiée par La Revue des Religions[19] qui indique que le Saint Coran parle à deux endroits d’une catégorie d’êtres plus minuscules que le Zarra – la petite fourmi – l’être vivant le plus petit connu des arabes avant l’invention de la microscope :

« Et rien n’est caché au regard de ton Seigneur, même ce qui ne pèse pas plus que le Zarra, ou moins que cela. »[20]

La déclaration « ou moins que cela », comme démontré dans cette recherche, constitue une référence claire à l’existence d’êtres connus de Dieu mais cachés du regard de l’homme en raison de leur petitesse. Il va sans dire que ces organismes si petits qu’ils sont « cachés » du regard de l’homme répondent parfaitement à la description des micro-organismes et correspondent très concrètement à la définition du terme djinn, qui signifie une chose cachée et invisible. Il sied également de mentionner que dans la sourate Al-Hijr[21], le Saint Coran parle d’ailleurs d’êtres appelés djinns, créés à partir d’un feu sans fumée, à une époque antérieure à la création de l’homme, une description qui récapitule succinctement la conclusion à laquelle sont parvenus les chercheurs qui étudient l’origine de la vie, qui remarquent que les plus anciens organismes « …auraient survécu grâce à l’énergie de l’éclair et de la radiation des rayons ultraviolets… »[22]. Finalement, l’une des plus grandes preuves en faveur du concept des « djinns bactériens » est qu’il trouve un précédent décisif dans les hadiths du Saint prophète (s.a.w.), comme l’explique le quatrième Calife du mouvement Ahmadiyya dans son traité Revelation Rationality Knowledge & Truth :   

« Cette proposition est entièrement soutenue par une tradition du Saint Prophète(s.a.w.) où il conseille vivement aux gens de ne pas utiliser le crottin ou  les ossements des animaux morts pour se nettoyer après avoir satisfait leurs besoins naturels car, disait-il, « ce sont-là les aliments des djinns ».  Tout comme de nos jours, nous utilisons du papier hygiénique, à l’époque les gens avaient recours à des morceaux de terre, des pierres, ou n’importe quel objet sec à portée de main pour se nettoyer. Nous pouvons ainsi en toute sécurité déduire que ce à quoi il était fait référence à travers le terme djinn n’était autre que certains micro-organismes invisibles, qui se nourrissent d’os pourri, de crotte, etc.  Souvenez-vous que le concept de la bactérie et des virus n’était pas encore né.  Personne n’avait la moindre idée de l’existence de ces minuscules créatures invisibles.  Étonnamment, c’est ce à quoi faisait référence le Saint Prophète(s.a.w.).  La langue arabe ne pouvait lui offrir une meilleure expression que le mot djinn. »[23]


Sajid Ahmad Muslun est un étudiant qui vit à Ontario et membre de la communauté musulmane Ahmadiyya. Il étudie la Biochimie à l’université York. Il intervient également dans des émissions de la chaîne MTA.


Références

[1] https://www.alislam.org/library/books/revelation/part_5_section_3.html

[2] Sahih Muslim Kitab-us-Salat Bab Al-Jahr bi l-Qira’at

[3] Le Saint Coran 46:30 et 72:2

[4] Chapitre 48:9-10

[5] Le Saint Coran 51:40, 26:29, 44:14-15, 37:37, 15:7, 68:52, 51:53, 54:10, 81:23, 68:3, 52:30

[6] Tafsir e Kabir volume 4 commentaire du verset 28 de la Sourate Al-Hijr

[7] Al Qamus Al-Muhit : وحَيَّةٌ أكْحَلُ العين لا تُؤْذِي (wa hayyatun akhalul-‘ayn la tu’zi)

[8] Lane’s Lexicon:  or a species of serpent (AA, M, K) having black-bordered eyes, (M, K,) inclining to yellow, (M, TA,) harmless

[9] Tafsir e Kabir volume 7 p. 349 – volume 7 p. 499 – volume 4 p. 58

[10] https://www.alislam.org/library/books/revelation/part_5_section_3.html

[11] Le Saint Coran 27:11/28:32

[12] Lisanul-Arab

[13] Le Saint Coran 53:33

[14] https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/micro-organisme/

[15] https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-micro-organisme-6183/

[16] https://fr.wikipedia.org/wiki/Micro-organisme

[17] https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/micro-organisme.php4

[18] https://www.aquaportail.com/definition-2022-micro-organisme.html

[19] https://www.revuedesreligions.org/etres-invisibles-dans-le-coran/

[20] Le Saint Coran 10:62

[21] Le Saint Coran 15:28

[22] DICKERSON, R.E. (September 1978) Chemical Evolution and the Origin of Life. Scientific American, p.80

[23] https://www.alislam.org/library/books/revelation/part_5_section_3.html